Vous faisiez quoi vous le 16 juillet 1986 ?
Non ? Vous ne vous rappelez pas ?
Moi si.

Le soir, j’étais dans la pinède de Juan-les-Pins.
Au concert d’Indochine.
Mon premier concert.
Toute seule.
A 16 ans.
Venue avec ma vieille mobylette. En espérant qu’on ne me la vole pas. Le gars n’aurait pas fait une affaire. Il fallait pédaler dans les côtes pour l’aider mais elle me dépannait bien.

Mon père en avait une presque neuve dans un garage mais il n’a jamais voulu me la donner. Il fallait que j’use celle-là jusqu’au bout. La presque neuve a pourri dans le garage. Mais c’est une autre histoire…

Me voilà au milieu de tous ces gens inconnus, un peu perdue, limite apeurée par la foule compacte. Des centaines de personnes agglutinées dans la chaleur moite de l’été sur la Côte d’Azur. La mer derrière, les pins autour et la scène au centre de ce décor idyllique.

Ensuite, je vais être honnête, je ne me rappelle pas dans les détails.

Je sais juste que ce premier concert m’a fait découvrir un monde et des sensations que je ne retrouve nulle part ailleurs.
La ferveur, la passion, les gens qui chantent, crient, hurlent, pleurent aussi parfois tous ensemble.

C’est un cliché mais c’est vrai. C’est une espèce de grand messe où tous les fidèles communient et adorent un artiste comme on adore un Dieu.

Il y a même des guerres de religion parfois entre les fans des uns et des autres. Heureusement, en dépit de la violence sur les réseaux sociaux, en général, elles font quand même moins de victimes que les vraies guerres !

Tout ça pour vous dire que samedi soir, j’étais au stade de France au concert d’Indochine.

C’était la première de ce Central Tour organisé pour fêter les 40 ans du groupe (41 finalement en raison de ce Putain de Covid de merde la pandémie).
Quelques chiffres pour vous donner une idée de la démesure : au milieu du stade, une tour centrale de 45 mètres de haut surplombe le public, à savoir 97 000 personnes (non non, je ne me suis pas trompée d’un zéro), pour un show mémorable de 2h45. La structure relaie un écran à 360 degrés de 2500 m2. (Un record pour un concert !) Le tout au-dessus d’une scène de 850 m2 permettant au groupe de bouger de façon à être visible de partout dans le stade. Enfin, quand je dis visible… dans une enceinte gigantesque comme celle-là, dans les gradins, quelque soit la place, on voit Nicola Sirkis et ses acolytes grands comme des LEGO.
Autre souci des stades, la sonorisation. J’ai trouvé que malheureusement, le son de la première partie était meilleur que le son d’Indochine, beaucoup plus sourd… un peu étouffé, rendant notamment les allocutions de Nicola difficiles à comprendre.

Juste un extrait de la version très psychédélique de Des fleurs pour Salinger pour vous donner une idée de la débauche d’effets spéciaux.

Nicola Sirkis…
Que dire ?
On va tout de suite éliminer la question de la justesse de sa voix ! Il chante faux. Il a toujours chanté faux et il chantera toujours faux ! Mais bizarrement, ça ne gêne aucun fan ! C’est presque sa marque de fabrique !
Il garde une dégaine d’éternel adolescent, même avec ses cheveux gris. Quelque part entre le Petit Prince et Jésus, les bras en croix, il est tantôt le messie, tantôt le mec cool qui remercie les soignants, les médecins, les policiers et demande « bruit pour tous les ukrainiens ».
il faut lui reconnaitre une force de caractère hors du commun pour avoir triomphé des multiples tempêtes qui ont secoué le navire Indochine depuis 40 ans ! Bien des gens l’avaient annoncé comme définitivement coulé dans les années 90 ; deux des membres fondateurs sont partis ; son frère jumeau Stéphane est mort en 1999 d’une hépatite foudroyante ; leur maison de disque historique les a lâchés ; les médias ont souvent méprisé le groupe avant un retour en grâce inespéré au début des années 2000. Nicola a tenu bon contre vents et marées…
Il faut aussi lui reconnaitre d’avoir abordé des thèmes comme l’homosexualité, la transidentité, les droits LGBT bien avant tout le monde. Désormais, il est aussi beaucoup question du climat… Certes à travers des textes souvent abscons, voire incompréhensibles diront les détracteurs. Mais là encore, c’est devenu une marque de fabrique.
Et c’est à souligner aussi, Indochine réussit l’exploit de réunir un public très familial. On n’est pas loin du « 7 à 77 ans » !

Il y a des années, je me suis retrouvée assise derrière Nicola à un concert de Vanessa Paradis. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui glisser à l’oreille qu’Indochine m’avait accompagnée toute ma vie et que je le remerciais. Il s’est retourné, il m’a fixé droit dans les yeux et il m’a répondu tout doucement « Non. C’est moi qui vous remercie ».
Je sais que le personnage ne fait pas l’unanimité (qui la fait ?) mais j’ai la faiblesse de le croire sincère.

Pour toutes ces raisons, le 21 mai 2022, j’ai eu les larmes aux yeux bien souvent : en voyant des images de Stéphane mort à 39 ans, en applaudissant sa fille Lou venue jouer de la guitare sur Dizzidence Politik, morceau sur lequel Dimitri est revenu faire le solo de saxo ; en chantant « la vie est belle et cruelle parfois » qui résonne particulièrement en moi en ce moment ; en découvrant la présence inattendue de la Garde Républicaine sur trois chansons dont J’ai demandé à la lune lui donnant une autre dimension ; en découvrant une vidéo de témoignages sur le harcèlement avant de chanter College Boy en duo avec le contreténor Philippe Jaroussky ; en voyant le drapeau ukrainien s’afficher sur la tour…

Indochine, c’est ma madeleine de Proust musicale. Le concert débute par une longue vidéo des images les plus marquantes de ces quatre dernières décennies : de l’élection de Mitterrand à la guerre en Ukraine en passant par la mort de Patrick Dewaere, de Bowie, la capote géante déroulée sur l’obélisque par Act Up au début des années SIDA, les attentats du 11 septembre, le procès Weinstein, les incendies en Australie, le Putain de Covid de merde etc

Leur vie, c’est évidemment la nôtre.

« Putain de concert, putain de stade » comme dirait Nicola pour conclure cette soirée hors normes.

Pour finir, je vous offre la vidéo intégrale de 3SEX, reprise de 3ème sexe sorti en 1985, avec la présence de Christine and the Queens.
Perso, je ne suis pas fan du tout de cette version, ni de Christine (elle me fait peur…) !
Mais comme je semble être minoritaire et que je doute qu’elle soit là tous les soirs de la tournée, c’est cadeau !